Partie 2

Publié le par Aurelie Passilly

 

La méthodologie s’appuie sur un questionnaire en ligne mis en place auprès de 6 cohortes d’apprenants de niveaux bac, licence et master. Les apprenants sont des adultes en formation continue. Les diplômes préparés sont hétérogènes ; leur point commun est de proposer une formation totalement à distance tutorée. Le choix des formations est volontairement réalisé au hasard, l'analyse étant centrée uniquement sur l'expérience du sentiment de solitude. Les formations sont les suivantes :

- DAEU A (Préparation au Diplôme d'Accès aux Etudes Universitaires générales)

- DAEU B (Préparation au Diplôme d'Accès aux Etudes Universitaires scientifiques)

- Licence de chimie à distance

- Licence « e-mi@ge » (Master informatique appliqué à la gestion)

- Master « Littérature de jeunesse »

L’analyse qualitative est centrée sur la question suivante :

« Si vous rencontrez un sentiment de solitude dans votre formation, quels mots permettraient de décrire ce sentiment : »

En premier lieu, il s’agit de repérer des invariants dans le descriptif de la solitude, précisément la manière dont les sujets expérimentent, décrivent la solitude et rendent compte de ce sentiment.

La répétition de ces invariants permettra de dégager les caractéristiques de l’expérience de la solitude dans l'apprentissage à distance. Sur la base de ces invariants, nous tenterons de proposer une définition de la solitude ressentie dans une formation à distance.

En second lieu, nous nous intéresserons à ce qui permettrait à l’apprenant « désarmé » de développer une capacité à être seul dans son apprentissage, au travers de deux axes de recherche identifiés précédemment :

- aux types de contacts souhaités avec les pairs et avec le tuteur, et leur faisabilité

- aux modalités d’une formation ayant pour objectif l’acquisition d’une capacité à être seul dans une formation à distance

 

 

6.1.            LE SENTIMENT DE SOLITUDE RENCONTRÉ DANS UNE FORMATION À DISTANCE

 

Une approche qualitative est proposée pour pouvoir décrire le sentiment de solitude rencontré par les apprenants. Parmi les 44 étudiants ayant participé au questionnaire, 19 réponses ont été obtenues à la question suivante (soit 43% de réponses positives) :

« Si vous rencontrez un sentiment de solitude dans votre formation, quels mots permettraient de décrire ce sentiment : »


Nous utiliserons la classification partielle de Bissonnette enrichie par l’équipe de Sauvé pour classer les termes ou expressions obtenus dans les descriptions (2006). Les catégories pertinentes retenues sont les suivantes :

-          Personnel

-          Interpersonnel

-          Environnemental

 

Lorsqu’il est rencontré par les apprenants, le sentiment de solitude fait davantage référence à des facteurs personnels et interpersonnels. Il est relié ou assimilé au terme « isolement » qui est cité 10 fois. Six autres termes sont cités 2 fois  : éloignement, frustration, peur, difficultés, communication et découragement.

Intéressons-nous au contexte d’utilisation du terme « isolement » puisqu’il est pour les apprenants très représentatif du sentiment de solitude. Il est employé dans les trois contextes défectueux suivants :

-          Contexte de communication : échanges, partage, communication par mail, discussion générale (exemples 4, 5, 7, 8, 9)

-          Contexte de motivation/confiance en soi : peur de ne pas être à la hauteur, d'être sur une fausse route et dans une situation d'échec, motivation instable, déception, découragement, manque de partage quotidienne d'une expérience commune avec des camarades de cours (6, 7, 10)

-          Contexte géographique : seule étudiante de ma région (8)

Les deux contextes les plus représentatifs sont relatifs à la communication, la motivation et confiance en soi.

Les termes « frustration », « découragement » et « peur » méritent d’être approfondis puisqu’ils sont cités chacun 2 fois. La frustration et le découragement sont considérés comme des pseudo-émotions dans le champ de la psychologie. Elles ont l'apparence d'une émotion mais elles traduisent surtout une façon de dire les choses, une émotion qu’il faut chercher à identifier. La frustration traduit une insatisfaction, associée à une attitude de protestation, car la situation vécue n’est pas méritée, « hors de mon contrôle ». Le découragement traduit une incapacité à réussir quelque chose, et s’accompagne d’émotions, de tristesse, d’amertume. La peur est une émotion simple, anticipatrice d’un danger potentiel futur.

A partir des résultats obtenus, nous pouvons envisager une première étude visant à décrire le sentiment de solitude. Cette première ébauche est à relativiser au regard du faible effectif  étudié.

« Le sentiment de solitude, s’il est rencontré par près de 40% des apprenants à distance quelque soit la typologie du dispositif, fait état d’un sentiment d’isolement relié à un contexte défectueux de communication, de motivation et de confiance en soi, accompagné d’une expérience émotive ou pseudo-émotive intense (peur, frustration, découragement). »

Si l’on se réfère à la capacité d’être seul défini par Winnicott, cette capacité permettant à un petit enfant, vulnérable, d'être capable d'être seul grâce à un soutien du moi sécurisant et fiable, le sentiment de solitude tel qu’il est proposé par les apprenants décrit le versus opposé, quasi-stricto-sensus de cette capacité : insécurité, vulnérabilité, manque de confiance…

La solitude telle qu’elle est décrite par les apprenants est vécue négativement et reflète une incapacité à être seul. Il convient d’étudier de façon plus approfondie :
- les types de contacts souhaités avec les pairs et avec le tuteur, et leur faisabilité
- les modalités d’une formation ayant pour objectif l’acquisition d’une capacité à être seul dans une formation à distance

6.2.            LES MODALITES DE DEVELOPPEMENT D’UNE CAPACITE A ÊTRE SEUL

 

La définition du sentiment de solitude proposée précédemment fait état d’un contexte défectueux de communication, de motivation et de confiance en soi pour un apprenant désarmé. Cet Autre, le tuteur ou le groupe d’apprenants peut-il jouer un effet de levier important dans le changement de ce contexte et si oui, dans quelle mesure ?

Bourdet indique que l’on attend beaucoup du tuteur, qu’il puisse au niveau personnel (Sauvé, 2006) dédramatiser la solitude, et soutenir la capacité de chacun à s’autogérer. Si l’on suit la démarche de Sasseville (2008), il est nécessaire au tuteur d’anticiper les types de contacts souhaités par un apprenant désarmé, pour faire en sorte que la solitude soit vécue de façon positive. Pour cela, le tuteur doit être capable d’apprendre à connaître son apprenant pour mettre en place les outils et les modes de communication les plus adaptés suscitant la motivation et la confiance en soi. Les outils de communication ne doivent pas être choisis au hasard. La classe virtuelle pourrait susciter la participation orale d’apprenants extravertis, communicants plus facilement que des apprenants timides, en manque de confiance. Le forum conviendrait davantage à ces derniers. Un apprenant démotivé serait plus sensible aux messages d’un tuteur encourageant l’effort et soulignant la réussite de ce dernier. Il conviendrait donc de ne pas prescrire des outils de communication obligés dans un dispositif mais de laisser le tuteur  choisir parmi un panel l’outil le plus adapté à la situation. Pour apprendre à connaître l’apprenant, le tuteur doit pouvoir décoder les messages de l’apprenant désarmé sur le type de contacts souhaités, le degré de motivation et de confiance. Lorsque l’apprenant ne communique pas ce type d’informations dans ses messages ou que ces messages sont inexistants, le tuteur doit être dans une situation pro-active pour aller déceler ces informations. Il pourra poser des questions ouvertes, sans préjugés, laissant la liberté à l’apprenant de s’exprimer sans avoir peur d’être jugé et devra être sensible à l’expérience émotive ou pseudo-émotive intense de l’apprenant (peur, frustration, découragement). Cette attitude exige du tuteur des qualités humaines, celles de l’écoute, le sens du relationnel, l’empathie et des capacités ou aptitudes à la psychologie.

 

Selon Pagès (2002), les membres du groupe partagent une « expérience affective de la relation » qui ne les relie pas seulement « à tel être particulier, mais à tous ». Sur le plan interpersonnel, le tuteur doit pouvoir favoriser la structuration du groupe sans toutefois devenir le leader (Bourdet, 2010) et être capable d’en comprendre la dynamique sociale et affective. Pour favoriser cette structuration, le tuteur devra distinguer les apprenants autonomes et les désarmés, laisser ou trouver une place à chaque membre du groupe, de telle sorte que chacun puisse exister au sein de la formation.

D’une façon globale, le tuteur doit être capable de situer un apprenant donné au sein d’un groupe et d’un contexte d’apprentissage donné (objectifs généraux et secondaires, stratégie d’apprentissage choisie) au regard de trois paramètres : les types de contacts souhaités (cognitif, métacognitif..), le degré de motivation et de confiance en soi.

 

Comme nous l’avons mis en évidence dans le chapitre 2, le groupe joue un rôle aussi important que le tuteur à travers des concepts qui permettent de réduire l’isolement de l’apprenant :

- La dimension communautaire (le groupe, les pairs..) et collaborative
- La médiation, l’entraide, l’encadrement
- Le lien social, la présence sociale


Il est incontestable à la lecture des travaux réalisés sur ces 3 groupes d’items, que le groupe doit permettre de diminuer le sentiment d’isolement, de solitude et de favoriser la capacité à être seul. Cependant, il est indéniable que le tuteur sous-tend ces dimensions et ces actions, car un groupe est constitué d’identités individuelles avec pour chacun une problématique d’apprentissage propre, et un rayon d’action aux limites inconscientes. Le groupe peut aider un apprenant à développer sa capacité à être seul et son autonomie mais cela ne constitue pas un objectif conscient pour l’ensemble de ses membres. Le tuteur est un liant en tant qu’acteur, organisateur de la formation et au travers des outils et activités qu’il met en place. Il est un lien permettant à l’Autre d’aider l’apprenant « désarmé » à constituer un moi sécurisant et fiable.

 

Si la capacité à être seul ne se construit pas au sein même de la formation, il est possible de réfléchir aux modalités d’un stage de préparation au suivi d’une formation à distance. Ce stage serait destiné aux apprenants désarmés. Un test de positionnement permettrait de distinguer les apprenants autonomes et les désarmés, ceux qui en ont conscience, ceux qui l’ignorent ou ne souhaitent pas le reconnaître. L’objectif de ce stage viserait le développement ou la consolidation d’une capacité à être seul. Le test dresserait une typologie d’apprenants classés selon le type de contacts souhaités, le degré de motivation et de confiance en soi. Pour atteindre un degré de fiabilité et de confiance en soi satisfaisant, des situations de la vie quotidienne pourraient servir de contexte à des mises en situation. Notre démarche consisterait à considérer la capacité d’être seul dans une formation à distance comme celle développée dans la vie, à l’instar de l’autonomie dans une formation à distance, comme l’autonomie dans la vie. Il conviendrait de pouvoir s’assurer si dans un premier temps, l’apprenant est une personne autonome dans la vie. Linard identifie clairement ces individus qui savent se débrouiller seuls : « je fais tout tout seul et je le fais bien ». Ils sont dotés d’une grande capacité de gestion méta-cognitive de leur propre conduite (2000). Un encadrement pourrait être réalisé par un tuteur doté d’un cursus double ancré dans les sciences de l’éducation et en psychologie.

 

Si le tuteur et le groupe peuvent aider un apprenant désarmé à développer une capacité à être seul, de nombres paramètres personnels et interpersonnels entrent en jeu et leurs complexités, leurs imbrications peuvent mettre en péril cet objectif. Il semblerait judicieux de pouvoir mettre en place un stage de préparation au suivi d’une telle formation et réellement adaptée à des apprenants désarmés en devenir.


 

 (suite article 3) 

Publié dans Formation à distance

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